C’est notre première navigation depuis l’opération de
Killian, il y a presque 2 mois. Elle a du coup un goût particulier. On retrouve
les choses telles qu’on les a laissées : en plan. Lors de
l’inattendue annonce de son diagnostic effrayant,
nous étions en train de faire des travaux sur le bateau, quand la météo ne nous
permettait pas de naviguer. Nous retrouvons donc des bois décapés, en attente
d’être revernis, des planches en vrac, restes d’une table extérieure
réinstallée, des chromes à moitié nettoyés… Et nous renouons avec nos rêves
d’escapade, aussi, que nous avions mis en suspend ces dernières semaines.
Sylvain était bien passé quelques fois, pour de courtes navigations avec des
potes. Mais c’est notre premier vrai retour tous les quatre, avec deux amies.
Pour un 5 janvier, il fait un temps superbe, grand soleil et
brise légère. Nous mangeons sur le pont sans même avoir froid ! Puis c’est
un départ rapide, après contrôle de la météo, car à cette saison, la nuit et
l’humidité glaciale tombent vite. A peine quittons-nous le port que nous voyons
la girouette s’affoler, le vent ne cesse de changer de direction, et derrière
nous nous voyons arriver à toute vitesse de gros nuages gris ! Mince,
c’était pas prévu, ça… Les quelques autres plaisanciers sur la mer ont aussi vu le temps tourner, et tous
prennent rapidement la direction du port. Nous non, évidemment, car Sylvain
voit là une nouvelle opportunité de s’entrainer en conditions peu favorables.
C’est toujours dans ces cas-là que ça grince un peu des dents sur le pont, car
moi aussi j’aurais préféré rentrer nous mettre à l’abri.
Finalement, ce n’est pas la pluie qui vient couvrir nos
voiles, mais un épais brouillard. On ne voit plus le port alors que nous en
sommes tout proche, ni aucune côte. Peu importe, on règle correctement nos
voiles, et on s’élance vers la mer. L’humidité bien fraiche de janvier nous
glace un peu, je descends rapidement faire chauffer de l’eau pour des boissons
chaudes. Le temps pour le Cappuccino de nous réchauffer les mains, et voilà que
le brouillard se disperse, laissant passer des rayons de soleil qui finissent
de nous réchauffer.
Avec quelques 10 noeuds de vent, nous avançons à moyenne
allure et la sortie est agréable. On reste sur la mer le temps de voir le
soleil se coucher, et même si un voile en altère un peu les couleurs, on
savoure sa beauté. Mais sitôt disparu, le froid vient à nouveau nous piquer de
ses nombreuses aiguilles insidieuses, alors nous ne traînons pas pour rentrer.
Sylvain progresse bien à la barre. Il faut bien avouer que
sans vent et sans houle, c’est plus facile. Il tente de me refiler la barre,
mais pas question ! Même si je rêve d’être autonome sur ce bateau, je m’en
sens pour l’instant totalement incapable, même s’il est à mes côtés.
Nous passons notre première nuit d’hiver sur le bateau,
grâce au convecteur électrique que Sylvain avait installé, il y a 2 mois. Il
est fort peu esthétique dans le carré, mais nous n’avons de toutes façons pas
les 4 000€ à consacrer à l’installation d’un chauffage bateau. On se rend
compte que la condensation est importante, et l’isolation thermique du bateau
n’est sans doute pas la plus efficace qu’on ait vu, car le chauffage fonctionne
au maximum sans discontinuer, et pourtant je ne pourrais pas dire que j’ai trop
chaud. Cela attise notre envie d’être sous des latitudes plus clémentes l’hiver
prochain, en tout cas, j’espère sincèrement qu’on pourra concrétiser notre
projet comme prévu. Cela dépendra de la récupération de Killian et de l’avis de
son chirurgien. Mais c’est en bonne voie.
Le lendemain nous sortons à nouveau, car nous voulons
essayer de suivre une route programmée avec le GPS. Direction Palavas les
flots, pour pouvoir faire l’aller-retour dans la journée. La météo n’est pas
sensationnelle, le vent souffle à 20 nœuds et n’est pas orienté idéalement pour
notre navigation, le ciel est gris… Mais bon, on se motive ! On trace
notre route sur le GPS et on hisse les voiles, non sans prendre 2 points de ris*.
M’étant déjà gelée hier, je me suis habillée en conséquence : deux
pantalons, deux paires de chaussettes, deux sous-pulls et un pull en laine.
* point de
ris : réglage qui permet de ne pas déplier toute la voile quand le vent
est fort
La houle est bien présente : le tanguage du bateau nous
en informe autant que le désespoir de Maëlyss, qui nous supplie de faire
demi-tour. Et on se rend vite compte que tenir notre route va être difficile,
avec un vent bien dans le dos, mais pas assez pour naviguer vent arrière. On
va donc devoir zigzaguer un peu, en
évitant les zones de récifs artificiels. Passer entre les deux récifs s’avère
périlleux, en on doit sans cesse virer de bord, en faisant quasiment du
sur-place. On rallume le moteur pour nous aider à garder de la vitesse dans les
changements de direction. J’ai une pensée reconnaissante pour le génial
inventeur du winch self-tailing*, et
pour l’adorable ancien propriétaire qui a eu la bonne idée d’en
installer sur Heimoana, car c’est moi qui gère les voiles, et tirer les drisses**
par ce vent ne serait pas de ma compétence sans cette aide précieuse. (Je n'apprendrai que bien plus tard qu'il est parfaitement inutile de se contraindre à éviter de naviguer sur ces récifs ! Ils sont profonds, et seuls les pécheurs doivent éviter de jeter leurs filets à ces endroits, mais pour la navigation, il n'y a aucune restriction... Le fait qu'ils ne soient pas matérialisés à la surface par des balises aurait dû nous mettre la puce à l'oreille, mais le principe de précaution avait pris le dessus).
* winch
self-tailing : borne d’enroulage et de blocage des cordes à
double-vitesse, qui permet de diminuer la pression des cordes.
**
drisses : ce sont les cordages, car sur un bateau, on parle de drisses, de
bouts, d’écoutes, mais jamais de cordes !
On se prend les vagues de travers, puis de face, et ni l’un
ni l’autre ne sont agréables. On a des
creux de vague jusqu’à 1m, et des débris
à la surface, qu’on évite, quand il s’agit d’un beau tronc capable de trouer
une coque. Louloute prend sur elle mais demande toutes les 5 minutes quand
est-ce qu’on rentre. On prendra aussi quelques lames qui nous mouillent bien,
et la première est même rentrée dans le bateau (Sylvain et moi pensions bien
qu’il fallait aller fermer la porte, mais lui galérait à tenir la barre et moi
je galérais à retenir mes tripes).
Devant la difficulté de la navigation, on opte finalement
pour un demi-tour devant la Grande Motte, mais le retour sera long. Avec du
coup un vent de face, il faut d’autant plus louvoyer, mais dès qu’on s’approche
enfin du port, les vagues se calment, la mer étant à cet endroit protégée par
la digue de l’Espiguette. Je suis congelée, et le mal de mer m’a bien tenu
compagnie, sur la quasi-totalité de la navigation. Killian et Maëlyss sont
également transis de froid, et heureux de notre retour à Port Camargue. Ce n’est
qu’au moment d’amarrer qu’on se rend compte qu’on a semé la gaffe*. On devient
des pros de la perte de matériel ! Bon, si j’avais pensé à la ranger au
départ, on l’aurait probablement encore, mais je l’ai laissée sur le pont, et
les filières n’ont pas suffi à la retenir.
*gaffe : longue perche pour aider à l'amarrage
Le tracé bleu, c'était notre plan de route, le jaune, c'est notre route réelle...
On se réchauffe enfin, puis on mange, avant de démonter la Grand Voile, puisqu'on l'a déjà déchirée 2 fois, à cause d'un bidouillage au pied du mât. Il manque une goupille pour bloquer la sortie du rail de la voile, et il semble que cette pièce ne se change pas, d'où une installation un peu hasardeuse, à laquelle on doit remédier. Si démonter la voile pour la faire réparer n'est pas bien compliqué, je crains que la remonter correctement ne relève du défi. A suivre, donc !!