Après moult tentatives échouées, que ce soit à cause de la météo ou d'aléas personnels, la semaine dernière nous nous décidons à sortir, coûte que coûte, sur 3 jours, pour faire une nuit dans un autre port, puis une nuit au mouillage, car il devient urgent et impératif de nous former.
Le premier jour, le vent s'annonce plutôt fort, à 25-30 nœuds, on sait donc que la navigation va être intense, mais nos enfants sont absents, ce sera déjà leurs angoisses de moins à gérer. Nous sommes super motivés et nous levons aux aurores. Mais alors que nous sommes prêts à larguer les amarres, l'anémomètre* ne fonctionne pas du tout... On avait repéré lors de la précédente navigation qu'il fonctionnait mal, mais n'avions pas eu l'occasion de le réparer entre temps. On hésite donc longuement à sortir, et je me lance à préparer un café le temps de nous décider (car, impatients, nous avions décidé de déjeuner une fois en mer). Oh, plus de gaz ! Du coup, plus besoin de tergiverser : on ne peut tout simplement pas partir sans gaz, car on a bien l'intention de manger, tout de même, au cours de ces 3 jours.
*anémomètre : instrument de mesure qui nous permet de connaitre en temps réel la force et la direction du vent.
Nous sommes dépités de voir encore une fois nos plans contrariés, et le mardi sera donc consacré à divers travaux et courses : montées au mât pour démonter, puis remonter après nettoyage la sonde de l'anémomètre, aller chercher une bouteille de gaz, et quelques travaux d'entretien sur le bateau, histoire de faire passer la journée.
Cette première montée au mât est toute une aventure ! C'est Sylvain qui s'équipe du baudrier, et moi qui doit le monter et l'assurer. Je ne suis pas complètement à l'aise, et au cours de son ascension, je mettrait quelques secondes (de trop !) à identifier un étrange bruit, que j'attribuerais à tord au winch. Le temps que je me rende compte qu'il s'agit en fait d'une écoute qui s'est coincée dans la poulie, entrainée par la drisse que je suis en train de tirer, elle est sacrément bien bloquée ! Et Sylvain se retrouve donc en stand bye à mi-hauteur du mât. Les mauvaises langues pourront dire que ce genre de problème ne serait pas arrivé si mon pont avait été bien rangé, et elles auraient raison... Pour l'heure, il s'agit de décoincer cette fichue corde, coincée à mort dans ma poulie ! J'ai beau tirer de toutes mes forces (de femme, hum...) et tenter d'utiliser le winch, rien n'y fait. C'est Sylvain, pendouillant au mât qui finit par avoir LA bonne idée : rallonger mon écoute par un autre bout, utiliser une poulie qu'il avait eu la bonne idée d'amener avec son baudar en la plaçant à l'avant du bateau, ce qui me permettait d'utiliser un autre winch tout en laissant l'écoute dans l'axe le plus droit de la poulie (vous n'avez sans doute rien compris, mais ça ne devrait pas vous empêcher de dormir, c'était juste une installation un brin plus élaborée pour tenter de décoincer enfin la corde !). Et là, ouf, ça marche ! Je prends donc le temps de dégager bien loin de ma poulie l'inopportune avant de reprendre la montée au mât de Sylvain. Il démonte sans difficulté la sonde, et la descente en rappel se fera bien plus vite que l'ascension... L'après-midi, après un nettoyage minutieux de la sonde, Sylvain remonte au mât pour la réinstaller, et un voisin vient gentiment proposer son aide, que je décline, après l'avoir bien remercié, car après tout, je suis super balèze ! (enfin, soyons honnête, la merveilleuse technologie du winch à double vitesse me permet de le monter sans trop de difficulté, et mon pont mieux rangé m'épargne des soucis...)
Sylvain vu d'en bas, le matin à la première montée.
J'ai un mal fou à apprendre et retenir les nœuds utiles, mais celui-là s'est fait tout seul, résidu des activités scoutes de ma jeunesse...
Le reste de la journée, nous nous équipons en gaz, et avançons quelques travaux sur le bateau, car nous savons qu'en ne partant qu'en milieu de journée, le plan de route initial n'est plus possible.
L'idée, au départ, c'était :
- jour 1 : navigation jusqu'à Marseille, nuit au port
- jour 2 : navigation jusqu'aux calanques de Cassis, mouillage et balade pédestre sur ces côtes magnifiques
- jour 3 : retour at home
Le plan final fut :
- jour 1 : brève déprime et entretien
- jour 2 : navigation jusqu'aux îles du Frioul et mouillage
- jour 3 : retour
Après la déconvenue du premier jour, nous nous remotivons à bloc pour un départ mercredi matin. On comprend qu'après le nettoyage de l'anémomètre il faut le recalibrer, ce qu'on ne peut pas faire tout de suite, il ne sera donc pas forcément d'une grande utilité. Tant pis. On largue les amarres de bonne heure, en se disant à nouveau qu'on déjeunera en mer.
Je sais qu'en ce mercredi le vent annoncé est encore de 20-25 nœuds, mais toute à mon excitation j'en oublie de prendre les traitements anti-mal de mer... Nous voilà lancés dans une mer formée, et prenons un ris par sécurité. On avance bien, à 6.5/7 nœuds (oui, 11 km/h... Marseille est hyyyyper loin en voilier...), mais Sylvain, qui s'occupe du réglage des voiles, sent bien passer les creux de vague de 1 à 2m. Je suis à la barre, et l'attention est constante, car les réglages doivent l'être aussi. J'essaie d'épauler correctement les vagues, et bien qu'impressionnée par ces creux les plus importants de ma très courte histoire de navigatrice je me surprends à vraiment aimer la mer ! Je m'éclate, littéralement, pendant que Sylvain essaie de survivre.
Puis nous changeons de cap, pour nous diriger tout droit vers notre destination. On se retrouve alors par vent arrière, et on prend les vagues par 3/4 arrière. Cela bouge un peu moins à bord de Heimoana, mais on perd de la vitesse, pour n'avancer plus qu'à 5/6 nœuds.
Vers midi, c'est le drame... Ma vessie se rappelant à mon bon souvenir, il me faut descendre. Le combo fatigue accumulée / petit déj sauté / passage en bas / oubli des traitements anti-mal de mer m'explose, et le reste de la journée me verra échouée lamentablement dans un coin du bateau, telle une méduse sur la plage qui attend que le soleil l'achève. Une migraine et une violente allergie (mais à quoi, en pleine mer ? Le mystère est entier...) s'assurent de bien m'immobiliser jusqu'au soir, et Sylvain doit se débrouiller seul tout du long.
La navigation reste sportive jusqu'au soir. Le fait de tenir la barre permet à Sylvain de retrouver ses esprits, et heureusement, car à seulement 2 personnes sur le voilier, on ne peut pas se permettre d'être malades en même temps.
La météo a rendu les plaisanciers frileux, et les seuls bateaux que nous croisons sont les chaluts de pêche, puis, à l'approche de Fos sur Mer et Marseille, des cargos et des ferrys. Traverser leurs couloirs de navigation est pour le moins intéressant : ces énormes bâtiments avancent bien plus vite qu'on ne l'imagine ! Et nous, moins vite que nous le voudrions... Quand enfin nous approchons des îles que nous visons, la journée touche à sa fin, et si le soleil n'est pas loin de disparaître, le vent, lui, reste infatigable. Je sors plus ou moins efficacement de ma léthargie pour aider Sylvain un minimum au moment de ranger les voiles, et la manœuvre est un peu folklorique.
Les îles du Frioul sont belles, brutes, abruptes, sauvages, nous sommes enchantés de les aborder par la mer ! Le mouillage, repéré sur la carte, semble plus petit dans la réalité que ce que je l'avais imaginé, et la crique est bordée de rochers. Nous avons choisi le site en fonction du vent, prévu dans la nuit et sur le matin, pour nous en abriter le plus possible. Reste que la houle, provoquée par les vents, persiste quelques heures après qu' Eole ne se relaxe, et nous la sentirons bien toute la nuit.
On jette l'ancre, vraiment, pour la première fois. Elle n'est pas graduée, difficile de savoir combien de chaîne on lâche. On observe, on hésite, on en lâche un peu plus. Chacun de nous fait des relevés, pour s'assurer qu'on ne bouge pas. Finalement, au bout d'une bonne demi-heure, on se détend, et on savoure l'intense sentiment de liberté d'être là, entourés d'eau, au sein d'une crique superbe, bercés par le clapotis de la mer sur la coque et émerveillés du ballet des mouettes. Le jour s'éteint déjà, on n'a ni le temps, ni vraiment l'énergie, de gonfler l'annexe pour aller se balader sur cette île que nous aurions pourtant aimé découvrir. Sylvain se colle à la cuisine, tandis que je récupère doucement mes esprits, ayant enfin réussi à prendre mes différents traitements. On mange un peu pour la première fois de la journée, en tout cas autre chose que les quelques gâteaux à peine grignotés.
Si nous étions seuls en soirée, deux voiliers sont arrivés en début de nuit au mouillage, et nous imaginons, devant les quelques 4 minutes qu'ils mettent à mouiller et à se poser, qu'eux n'en sont pas à leur première ancre jetée.
La nuit et le repos sont bienvenus après cette journée éprouvante, mais il est bien difficile de ne pas stresser sur l'hypothétique décrochage du bateau. Alors on se lève régulièrement, pour s'assurer d'être toujours au même endroit, et le sommeil en est altéré. J'avais programmé mon réveil toutes les heures et demi, mais il n'a jamais sonné, je me réveillais toujours spontanément avant ! Malgré la houle qui agite le bateau, nous restons bien à l'endroit prévu. Alors que j'essaie de me rendormir pour la 10e fois de la nuit, je me dis que le jour où j'arriverai à dormir sereinement et d'un trait sur un mouillage, je serai sans doute capable de dormir dans n'importe quelle autre condition, même pendue dans un hamac au cours d'un léger séisme...
Au matin, il n'y a pas le moindre brin d'air. Pétole, comme disent les marins. Nada. On le savait, mais on espère malgré tout pouvoir attraper une faible brise dans le courant de la journée. On part de bonne heure, après, cette fois, un bon petit déjeuner, conscients que le retour au moteur va être rudement long. Après s'être si bien agitée la veille, la mer est d'un calme désarmant. Tant mieux, mon système digestif appréciera la pause. Le ciel est très chargé au départ, mais nous éviterons les gouttes. Il se dégage au cours de la journée, et les couleurs du ciel et de la mer sont magnifiques, changeantes et reflètent 1000 éclats.
Nous choisissons une route plus courte qu'à l'aller (nous nous étions bien écartés des côtes, à la recherche d'un trajet nécessitant le moins de changement de direction possible), car au moteur nous avancerons difficilement à plus de 4 nœuds. On s'estime heureux que la révision complète du moteur ait été faite, et que le technicien nous ait fait changer une pièce qui, je cite : "bah, ça c'est une sous-marque bas de gamme, si vous passez du temps au moteur, elle va surchauffer, et péter". Devant les 11h de navigation sans vent prévues, on est presque contents des quelques 1500 euros lâchés dans ce moteur.
On déploie malgré tout les voiles, dans l'espoir illusoire d'augmenter sensiblement notre vitesse. Notre recherche d'une brisounette pour gonfler les voiles s'avère presque inutile. Quand, au bout de 8h de fonctionnement non stop, le moteur montre un petit signe de faiblesse (ralentissement soudain), je me demande s'il ne serait pas judicieux de l'arrêter un moment. Sylvain, lui, ouvre grand tous les accès au moteur, qui effectivement a bien chaud, contrôle l'état général, puis tente de le pousser, le ralentir, le repousser à fond, et il répond sans difficulté. Mais il sait que ça me stresse, on l'éteint donc, pour le laisser refroidir. Le semblant de courant d'air nous permet d'avancer à 2 nœuds... A cette allure, je crains qu'on arrive chez nous pour Noël ! Or, le lendemain on bosse dès 8h. Du coup, au bout de 3/4 d'heure, on rallume le moteur, qui ne fera plus le moindre caprice jusqu'à l'arrivée. A-t-il sérieusement surchauffé, ou avons-nous pris un déchet/ une algue dans l'hélice qui est parti quand Sylvain à poussé le moteur ? Difficile de savoir...
Même si la mer est très calme, aucun de nous n'a eu envie de manger le midi. On s'est improvisé un bol de purée déshydratée, vraiment pas terrible, et on a grignote des fruits secs. La contemplation des vastes étendues bleues me va bien, mais Sylvain s'ennuie et entreprend d'installer les filières achetées la veilles pour remplacer les cagnards très abîmés (les panneaux en toile proches du cockpit, desquels nombre d'entre vous a pu apprécier l'état d'usure majeur...).
Pressés d'arrivés, notre matériel est tout bien rangé largement avant notre entrée au port, et l'accostage se fera rapidement. Le temps que je décharge nos affaires Sylvain nettoie le pont, et nous voilà repartis vers nos quotidiens chargés. Cette première "vraie" sortie, et sans aide, nous donne vraiment le goût de l'aventure qui nous attend. L'envie de découvrir plus la beauté de l'immensité, d'appréhender la nature brute, puissante et sauvage par un étroit contact, de continuer d'apprendre à lâcher prise sur ce que je ne peux maîtriser me démange et m'effraie à la fois. L’ambiguïté de mes émotions va longtemps être une gageure, mais quelle fierté de repousser mes limites et mes barrières mentales, de maîtriser mes peurs, de me découvrir plus forte que je ne l'aurais jamais imaginer !
L'état de santé de Killian n'est finalement ni inquiétant, ni totalement rassurant. Si l'ostéome reformé est une réaction osseuse excessive, alors ça va, et le chirurgien est en faveur de ce diagnostic. Mais aujourd'hui rien ne permet d'être sûr que la tumeur ne s'est pas installée dans l'os et oeuvre pour l'instant en silence. Ce sont les imageries de septembre qui détermineront notre possibilité de partir ou non, mais on veut y croire, on se prépare à ce départ qu'on espère de tout cœur, et on croise les doigts pour que les ennuis de santé de notre fils ne soient désormais plus qu'un souvenir.