mardi 22 mai 2018

Premier mouillage !

Après moult tentatives échouées, que ce soit à cause de la météo ou d'aléas personnels, la semaine dernière nous nous décidons à sortir, coûte que coûte, sur 3 jours, pour faire une nuit dans un autre port, puis une nuit au mouillage, car il devient urgent et impératif de nous former.


 
Le premier jour, le vent s'annonce plutôt fort, à 25-30 nœuds, on sait donc que la navigation va être intense, mais nos enfants sont absents, ce sera déjà leurs angoisses de moins à gérer. Nous sommes super motivés et nous levons aux aurores. Mais alors que nous sommes prêts à larguer les amarres, l'anémomètre* ne fonctionne pas du tout... On avait repéré lors de la précédente navigation qu'il fonctionnait mal, mais n'avions pas eu l'occasion de le réparer entre temps. On hésite donc longuement à sortir, et je me lance à préparer un café le temps de nous décider (car, impatients, nous avions décidé de déjeuner une fois en mer). Oh, plus de gaz ! Du coup, plus besoin de tergiverser : on ne peut tout simplement pas partir sans gaz, car on a bien l'intention de manger, tout de même, au cours de ces 3 jours.

*anémomètre : instrument de mesure qui nous permet de connaitre en temps réel la force et la direction du vent.

Nous sommes dépités de voir encore une fois nos plans contrariés, et le mardi sera donc consacré à divers travaux et courses :  montées au mât pour démonter, puis remonter après nettoyage la sonde de l'anémomètre, aller chercher une bouteille de gaz, et quelques travaux d'entretien sur le bateau, histoire de faire passer la journée.

Cette première montée au mât est toute une aventure ! C'est Sylvain qui s'équipe du baudrier, et moi qui doit le monter et l'assurer. Je ne suis pas complètement à l'aise, et au cours de son ascension, je mettrait quelques secondes (de trop !) à identifier un étrange bruit, que j'attribuerais à tord au winch. Le temps que je me rende compte qu'il s'agit en fait d'une écoute qui s'est coincée dans la poulie, entrainée par la drisse que je suis en train de tirer, elle est sacrément bien bloquée ! Et Sylvain se retrouve donc en stand bye à mi-hauteur du mât. Les mauvaises langues pourront dire que ce genre de problème ne serait pas arrivé si mon pont avait été bien rangé, et elles auraient raison... Pour l'heure, il s'agit de décoincer cette fichue corde, coincée à mort dans ma poulie ! J'ai beau tirer de toutes mes forces (de femme, hum...) et tenter d'utiliser le winch, rien n'y fait. C'est Sylvain, pendouillant au mât qui finit par avoir LA bonne idée : rallonger mon écoute par un autre bout, utiliser une poulie qu'il avait eu la bonne idée d'amener avec son baudar en la plaçant à l'avant du bateau, ce qui me permettait d'utiliser un autre winch tout en laissant l'écoute dans l'axe le plus droit de la poulie (vous n'avez sans doute rien compris, mais ça ne devrait pas vous empêcher de dormir, c'était juste une installation un brin plus élaborée pour tenter de décoincer enfin la corde !). Et là, ouf, ça marche ! Je prends donc le temps de dégager bien loin de ma poulie l'inopportune avant de reprendre la montée au mât de Sylvain. Il démonte sans difficulté la sonde, et la descente en rappel se fera bien plus vite que l'ascension... L'après-midi, après un nettoyage minutieux de la sonde, Sylvain remonte au mât pour la réinstaller, et un voisin vient gentiment proposer son aide, que je décline, après l'avoir bien remercié, car après tout, je suis super balèze ! (enfin, soyons honnête, la merveilleuse technologie du winch à double vitesse me permet de le monter sans trop de difficulté, et mon pont mieux rangé m'épargne des soucis...)

Sylvain vu d'en bas, le matin à la première montée.

J'ai un mal fou à apprendre et retenir les nœuds utiles, mais celui-là s'est fait tout seul, résidu des activités scoutes de ma jeunesse... 

Faut pas avoir le vertige, là-haut, car même bien arrimé au port, ça tangue !

Le reste de la journée, nous nous équipons en gaz, et avançons quelques travaux sur le bateau, car nous savons qu'en ne partant qu'en milieu de journée, le plan de route initial n'est plus possible.

L'idée, au départ, c'était :
- jour 1 : navigation jusqu'à Marseille, nuit au port
- jour 2 : navigation jusqu'aux calanques de Cassis, mouillage et balade pédestre sur ces côtes magnifiques
- jour 3 : retour at home

Le plan final fut :
- jour 1 : brève déprime et entretien
- jour 2 : navigation jusqu'aux îles du Frioul et mouillage
- jour 3 : retour

Après la déconvenue du premier jour, nous nous remotivons à bloc pour un départ mercredi matin. On comprend qu'après le nettoyage de l'anémomètre il faut le recalibrer, ce qu'on ne peut pas faire tout de suite, il ne sera donc pas forcément d'une grande utilité. Tant pis. On largue les amarres de bonne heure, en se disant à nouveau qu'on déjeunera en mer.
Je sais qu'en ce mercredi le vent annoncé est encore de 20-25 nœuds, mais toute à mon excitation j'en oublie de prendre les traitements anti-mal de mer... Nous voilà lancés dans une mer formée, et prenons un ris par sécurité. On avance bien, à 6.5/7 nœuds (oui, 11 km/h... Marseille est hyyyyper loin en voilier...), mais Sylvain, qui s'occupe du réglage des voiles, sent bien passer les creux de vague de 1 à 2m. Je suis à la barre, et l'attention est constante, car les réglages doivent l'être aussi. J'essaie d'épauler correctement les vagues, et bien qu'impressionnée par ces creux les plus importants de ma très courte histoire de navigatrice je me surprends à vraiment aimer la mer ! Je m'éclate, littéralement, pendant que Sylvain essaie de survivre.
Puis nous changeons de cap, pour nous diriger tout droit vers notre destination. On se retrouve alors par vent arrière, et on prend les vagues par 3/4 arrière. Cela bouge un peu moins à bord de Heimoana, mais on perd de la vitesse, pour n'avancer plus qu'à 5/6 nœuds.

Vers midi, c'est le drame... Ma vessie se rappelant à mon bon souvenir, il me faut descendre. Le combo fatigue accumulée / petit déj sauté / passage en bas / oubli des traitements anti-mal de mer m'explose, et le reste de la journée me verra échouée lamentablement dans un coin du bateau, telle une méduse sur la plage qui attend que le soleil l'achève. Une migraine et une violente allergie (mais à quoi, en pleine mer ? Le mystère est entier...) s'assurent de bien m'immobiliser jusqu'au soir, et Sylvain doit se débrouiller seul tout du long.



La navigation reste sportive jusqu'au soir. Le fait de tenir la barre permet à Sylvain de retrouver ses esprits, et heureusement, car à seulement 2 personnes sur le voilier, on ne peut pas se permettre d'être malades en même temps.
La météo a rendu les plaisanciers frileux, et les seuls bateaux que nous croisons sont les chaluts de pêche, puis, à l'approche de Fos sur Mer et Marseille, des cargos et des ferrys. Traverser leurs couloirs de navigation est pour le moins intéressant : ces énormes bâtiments avancent bien plus vite qu'on ne l'imagine ! Et nous, moins vite que nous le voudrions... Quand enfin nous approchons des îles que nous visons, la journée touche à sa fin, et si le soleil n'est pas loin de disparaître, le vent, lui, reste infatigable. Je sors plus ou moins efficacement de ma léthargie pour aider Sylvain un minimum au moment de ranger les voiles, et la manœuvre est un peu folklorique.


Les îles du Frioul sont belles, brutes, abruptes, sauvages, nous sommes enchantés de les aborder par la mer ! Le mouillage, repéré sur la carte, semble plus petit dans la réalité que ce que je l'avais imaginé, et la crique est bordée de rochers. Nous avons choisi le site en fonction du vent, prévu dans la nuit et sur le matin, pour nous en abriter le plus possible. Reste que la houle, provoquée par les vents, persiste quelques heures après qu' Eole ne se relaxe, et nous la sentirons bien toute la nuit.
On jette l'ancre, vraiment, pour la première fois. Elle n'est pas graduée, difficile de savoir combien de chaîne on lâche. On observe, on hésite, on en lâche un peu plus. Chacun de nous fait des relevés, pour s'assurer qu'on ne bouge pas. Finalement, au bout d'une bonne demi-heure, on se détend, et on savoure l'intense sentiment de liberté d'être là, entourés d'eau, au sein d'une crique superbe, bercés par le clapotis de la mer sur la coque et émerveillés du ballet des mouettes. Le jour s'éteint déjà, on n'a ni le temps, ni vraiment l'énergie, de gonfler l'annexe pour aller se balader sur cette île que nous aurions pourtant aimé découvrir. Sylvain se colle à la cuisine, tandis que je récupère doucement mes esprits, ayant enfin réussi à prendre mes différents traitements. On mange un peu pour la première fois de la journée, en tout cas autre chose que les quelques gâteaux à peine grignotés.





Si nous étions seuls en soirée, deux voiliers sont arrivés en début de nuit au mouillage, et nous imaginons, devant les quelques 4 minutes qu'ils mettent à mouiller et à se poser, qu'eux n'en sont pas à leur première ancre jetée.

La nuit et le repos sont bienvenus après cette journée éprouvante, mais il est bien difficile de ne pas stresser sur l'hypothétique décrochage du bateau. Alors on se lève régulièrement, pour s'assurer d'être toujours au même endroit, et le sommeil en est altéré. J'avais programmé mon réveil toutes les heures et demi, mais il n'a jamais sonné, je me réveillais toujours spontanément avant ! Malgré la houle qui agite le bateau, nous restons bien à l'endroit prévu. Alors que j'essaie de me rendormir pour la 10e fois de la nuit, je me dis que le jour où j'arriverai à dormir sereinement et d'un trait sur un mouillage, je serai sans doute capable de dormir dans n'importe quelle autre condition, même pendue dans un hamac au cours d'un léger séisme...

Au matin, il n'y a pas le moindre brin d'air. Pétole, comme disent les marins. Nada. On le savait, mais on espère malgré tout pouvoir attraper une faible brise dans le courant de la journée. On part de bonne heure, après, cette fois, un bon petit déjeuner, conscients que le retour au moteur va être rudement long. Après s'être si bien agitée la veille, la mer est d'un calme désarmant. Tant mieux, mon système digestif appréciera la pause. Le ciel est très chargé au départ, mais nous éviterons les gouttes. Il se dégage au cours de la journée, et les couleurs du ciel et de la mer sont magnifiques, changeantes et reflètent 1000 éclats.







 Nous choisissons une route plus courte qu'à l'aller (nous nous étions bien écartés des côtes, à la recherche d'un trajet nécessitant le moins de changement de direction possible), car au moteur nous avancerons difficilement à plus de 4 nœuds. On s'estime heureux que la révision complète du moteur ait été faite, et que le technicien nous ait fait changer une pièce qui, je cite : "bah, ça c'est une sous-marque bas de gamme, si vous passez du temps au moteur, elle va surchauffer, et péter". Devant les 11h de navigation sans vent prévues, on est presque contents des quelques 1500 euros lâchés dans ce moteur.

On déploie malgré tout les voiles, dans l'espoir illusoire d'augmenter sensiblement notre vitesse. Notre recherche d'une brisounette pour gonfler les voiles s'avère presque inutile. Quand, au bout de 8h de fonctionnement non stop, le moteur montre un petit signe de faiblesse (ralentissement soudain), je me demande s'il ne serait pas judicieux de l'arrêter un moment. Sylvain, lui, ouvre grand tous les accès au moteur, qui effectivement a bien chaud, contrôle l'état général, puis tente de le pousser, le ralentir, le repousser à fond, et il répond sans difficulté. Mais il sait que ça me stresse, on l'éteint donc, pour le laisser refroidir. Le semblant de courant d'air nous permet d'avancer à 2 nœuds... A cette allure, je crains qu'on arrive chez nous pour Noël ! Or, le lendemain on bosse dès 8h. Du coup, au bout de 3/4 d'heure, on rallume le moteur, qui ne fera plus le moindre caprice jusqu'à l'arrivée. A-t-il sérieusement surchauffé, ou avons-nous pris un déchet/ une algue dans l'hélice qui est parti quand Sylvain à poussé le moteur ? Difficile de savoir...

Même si la mer est très calme, aucun de nous n'a eu envie de manger le midi. On s'est improvisé un bol de purée déshydratée, vraiment pas terrible, et on a grignote des fruits secs. La contemplation des vastes étendues bleues me va bien, mais Sylvain s'ennuie et entreprend d'installer les filières achetées la veilles pour remplacer les cagnards très abîmés (les panneaux en toile proches du cockpit, desquels nombre d'entre vous a pu apprécier l'état d'usure majeur...).


Pressés d'arrivés, notre matériel est tout bien rangé largement avant notre entrée au port, et l'accostage se fera rapidement. Le temps que je décharge nos affaires Sylvain nettoie le pont, et nous voilà repartis vers nos quotidiens chargés. Cette première "vraie" sortie, et sans aide, nous donne vraiment le goût de l'aventure qui nous attend. L'envie de découvrir plus la beauté de l'immensité, d'appréhender la nature brute, puissante et sauvage par un étroit contact, de continuer d'apprendre à lâcher prise sur ce que je ne peux maîtriser me démange et m'effraie à la fois. L’ambiguïté de mes émotions va longtemps être une gageure, mais quelle fierté de repousser mes limites et mes barrières mentales, de maîtriser mes peurs, de me découvrir plus forte que je ne l'aurais jamais imaginer ! 


L'état de santé de Killian n'est finalement ni inquiétant, ni totalement rassurant. Si l'ostéome reformé est une réaction osseuse excessive, alors ça va, et le chirurgien est en faveur de ce diagnostic. Mais aujourd'hui rien ne permet d'être sûr que la tumeur ne s'est pas installée dans l'os et oeuvre pour l'instant en silence. Ce sont les imageries de septembre qui détermineront notre possibilité de partir ou non, mais on veut y croire, on se prépare à ce départ qu'on espère de tout cœur, et on croise les doigts  pour que les ennuis de santé de notre fils ne soient désormais plus qu'un souvenir. 

mardi 1 mai 2018

M - 5 avant le départ

Aujourd'hui, nous sommes à 5 mois jour pour jour du départ. Est-ce qu'on est prêts ? Non, assurément pas. Il y a encore beaucoup de travaux sur le bateau, et notre expérience est bien faible. Est-ce qu'on a hâte ? Oui, évidemment. Hâte de sortir de nos vies réglées au millimètre, des contraintes, du bienséant et de la pensée commune. Hâte de nous bousculer de la torpeur d'un quotidien trop monotone. Vivre la vie, la vraie, l'aventure qui se rythme autant avec les joies intenses qu'avec les doutes et les galères. La Vie où le relationnel et la contemplation l'emportent sur le matériel.
 
On a peur, aussi, un peu. Est-ce que vraiment on est capable de vivre cette aventure de la traversée transocéanique ? En a-t-on mesuré tous les risques, et sommes-nous prêts à tous les courir ? Sylvain aime les défis, mais moi qui suis une casanière angoissée, il me semble essayer de repousser mes limites largement au-delà de ce que je me serais cru capable.
 
Le doute et l’excitation s'entremêlent constamment, et mes émotions font les montagnes russes.



Quand je regarde le chemin que j'ai parcouru, je vois des gamelles, petites et grosses, des avalanches qui ont failli m'enterrer, mais aussi de sacrées victoires sur moi-même, et sur la vie ! Longtemps enfermée dans la bulle invisible de la phobie sociale, j'ai passé des années à essayer d'être transparente, tout en me détestant de m'infliger une telle souffrance. Puis il y a eu LES Rencontres ! Ces rencontres de groupe, auxquelles j'ai participé en y glissant d'abord juste un orteil, partagée entre l'envie de vivre quelque chose de fort, et la peur du regard des autres. Durant les premières, je me planquais dans ma chambre et jouais la montre. Mais ces Autres, bienveillants, m'ont attirée à eux, petit à petit. Et surtout, il y a eu mon fabuleux ami, Louphi, qui au gré de discussions personnelles, devant un feu et une tisane à la main ou en voiture (que j'aime ces trajets partagés !) m'a ouverte à moi-même, m'a aidée à accéder à celle que j'étais et dont j'ignorais même l'existence. Mon ami Chris aussi a été un atout majeur dans ma découverte de moi-même. Merci infiniment à tous les deux !
Aujourd'hui, ma vie est transformée. J'aime sincèrement faire de nouvelles rencontres, et il m'arrive même de les provoquer. Quel plaisir de rencontrer l'Autre, ce cohabitant d'une planète si belle qu'elle en donne le vertige, de découvrir, ou au moins tenter de découvrir la richesse de chacun ! Quelle curiosité de sortir de ma zone de confort pour aller rencontrer l'Humain dans son lieu de vie et avec ses coutumes ! Et je veux initier mes enfants à cela, à distinguer la beauté dans la simplicité d'un échange. A voir chez cet "étranger" qu'on enferme dans des clichés aussi méprisables que dangereux tout ce qu'il a de commun avec nous.

Je veux aussi voir ce que la Nature a de plus beau, et ne le verrai qu'en me dépouillant de ce qui m’enchaîne : les peurs, le socialement "normal", le trop raisonnable. Je rêve de voir les algues phosphorescentes que nos amis nous ont décrites, avec encore des étoiles dans les yeux, je veux contempler  l'immensité de l'océan, et la beauté des animaux et des paysages que l'homme n'a pas encore pu domestiquer. Et je veux voir tout ça maintenant. Parce que la tumeur cérébrale qui a atteint notre fils nous a rappelé, avec une grande violence, que la Vie peux s'arrêter n'importe quand et sans préavis. Pourtant, la précarité de l'existence est une idée que je porte en moi depuis longtemps : j'aime passionnément les coquelicots et les papillons, tous deux de belles espèces sauvages, non domesticables, et caractérisées par une vie bien courte... "Savoure chaque instant de ta vie !", c'est mon crédo. "Dis à ceux que tu aimes combien et pourquoi tu les aimes !", c'est aussi une de mes lignes de vie, mais c'est plus difficile à mettre en œuvre ! Encore des barrières à faire tomber...

Enfin, et surtout, je veux vivre des temps de qualité en famille. Les années écoulées ont laissé des traces. Mon fils a subit un harcèlement scolaire, ma fille a d'importantes allergies alimentaires qui parasitent sa vie sociale et sa gourmandise d'enfant, les deux ont souvent du mal à trouver leur place dans leurs groupes d'amis, et nous ne leur accordons pas le temps que l'on voudrait pour les soutenir et les aider à grandir, ça me désole. Dans notre couple aussi, 15 ans de mariage et un boulot plus que chronophage ont fait la part belle à la routine, et l'absence de communication nous a parfois conduit plus à de la colocation qu'à une vie de couple. J'ai eu envie de partir. Très fort. Mais aujourd'hui je veux rebâtir ce qui peut l'être.
Ces derniers mois, et encore actuellement, des évènements sont venus provoquer des cataclysmes émotionnels, et il me semble que ma tempête intérieure s'autoalimente dans un tourbillon où je perds pied. Il y a quelques jours on a détecté une nouvelle "bosse" sur le crâne de Killian, grosse, effrayante. Peut-être anodine, peut-être messagère d'une nouvelle que j'aurai beaucoup de mal à encaisser... On attend de nouvelles images et l'avis du chirurgien, dans quelques jours, non sans une certaine angoisse.

Ce voyage, c'est donc une bulle intemporelle que j'appelle de toutes mes forces, où les heures ne compteront plus, où face à la beauté et à l'immensité de la Nature j'espère retrouver la paix. J'ai l'espoir que rien ne viendra parasiter notre vie de famille, et que seule la relation authentique aura droit de cité, pour la construction, ou la reconstruction de chacun de nous.
 
La peur face à l'inconnu qui est la mienne et que j'ai évoqué plus haut  est aussi devenue la compagne de nos parents, que notre projet empêche parfois de dormir. Je le comprends, et nous leur sommes reconnaissants de ne pas tenter de nous décourager. Ils nous soutiennent malgré leurs appréhensions, et brillent par leur résilience. Merci, vous êtes tous les quatre merveilleux !

Si c'est bien la traversée de l'Atlantique qui est la plus anxiogène, le danger sera en réalité toujours un peu présent : près des côtes, à l'embouchure des fleuves qui trimballent des troncs et autres débris qui peuvent heurter notre coque, sur les rochers qui affleurent, au mouillage où l'ancre peut décrocher, dans les vents changeants et parfois violent, par temps de brouillard... Nous serons prudents en toutes circonstances, mais n'élimineront jamais le facteur "pas de chance". C'est là que j'éprouverai ma foi, cette confiance aveugle dans le fait que Dieu existe, et que quelles que soient les difficultés de la vie, dont les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres, Il sera à nos côtés pour renouveler nos forces et nous aider à aller de l'avant.  Je n'ouvrirai pas ici un débat sur l'existence ou non de Dieu, ni sur la croyance qui est la mienne et que certains qualifieront d'absurde. Désormais, ce que les autres pensent je m'en "contre-balance", je me suis affranchie des jugements hâtifs et sans fondements, et même de la simple opinion des autres à mon sujet. J'ai, pour ma part, déjà tellement expérimenté sa présence et son action dans ma vie que plus aucun doute n'est possible. Je ne tiens pas non plus à avoir un échange théologique enflammé avec ceux qui sont persuadés que Dieu a un plan pour chacun, qu'Il nous impose et auquel nous devons adhérer, sous peine d'être privés de ses bénédictions. Je pense qu'en Bon Père Aimant, il nous laisse choisir notre voie, aussi sinueuse soit-elle, et qu'Il nous accompagne dans toutes nos aventures pour peu qu'on lui laisse une place à nos côtés.

C'est donc dans cet état un peu fébrile, et avec l'humilité que nous imposera Dame Nature, que nous nous préparons à cette aventure extraordinaire. J'ai validé le CRR* et le permis côtier, et me prépare à passer l'extension hauturière ; tandis que Sylvain prend des cours de voile, et que nous grappillons des infos utiles à droite et à gauche. Nous sommes complémentaires dans nos fonctionnements, et c'est souvent une force. Nous aurions voulu avoir déjà tenté plusieurs mini-croisières, avec prise de quart et mouillage, mais chaque tentative a été déboutée par la météo ou d'autres événements externes. C'est pas grave, on apprendra sur le tas ! Durant l'été, je vais tenter de sortir avec l'un ou l'autre de nos voisins de pontons, tous, à priori, de bons navigateurs ; Sylvain, lui, sortira probablement aussi (mais en été, nous n'avons pas un seul jour de repos en commun, d'où le plan étrange de sortir chacun à tour de rôle).


*CRR : certificat pour l'utilisation de la radio


En septembre, je ferai le carénage et l'anti-fouling*, et préparerai le départ, alors que Sylvain bossera encore. Au 1er octobre, si tout va bien, nous larguerons nos amarres physiques, sociétales et émotionnelles pour nous lancer dans cette aventure que nous attendons avec impatience, et qui, sans aucun doute, nous transformera fondamentalement. Il faut avoir confiance en la Vie, en soi et dans le matériel qu'on a préparé, m'a dit Johann. C'est sans doute bien résumé ! Il n'y a plus qu'à se lancer...

* carénage : nettoyage de la coque du bateau, qui peut se faire au mouillage en mer avec un équipement de plongée, ou en faisant sortir le bateau de l'eau. L'anti-fouling est une peinture spéciale pour protéger la coque et augmenter sa glisse sur l'eau.