Le temps passe, et notre projet de petit voyage trépasse.
Si, un temps, nous avions espéré pouvoir repartir quelques semaines avec les
enfants -entre janvier et mars-, ce n’est hélas plus réalisable, le boulot que
nous voulions fuir temporairement happant tout notre temps et notre énergie.
Aussi, quand mon voisin Christian m’a contactée pour me
proposer à nouveau de participer à une régate sur son bateau, j’ai sauté sur l’occasion
de revenir sur le fil de l’eau (j’avais longtemps refusé, par peur). Après 2
annulations pour cause de météo, on finit par pouvoir se lancer sur une course début
février. Ce dimanche-là, une trentaine de voiliers sont au départ, et j’embarque
sur le bateau de Christian en compagnie d’un équipage déjà rodé. Nous serons 5 sur « Moun’ba » pour cette course.
Le principe d’une régate est simple : il faut réaliser
le plus rapidement possible un parcours déterminé. Des bouées marquent le
parcours, qu’il faut contourner sans les toucher. Les bateaux courent tous
ensemble, mais ils appartiennent à différentes catégories selon leur taille. Il
y a ainsi un tout petit voilier, qui arrive toujours dernier, mais qui est
premier, étant seul de sa catégorie…
A son arrivée au bateau, Sylvain et moi aidons Christian à
remonter son génois, réparé la veille. Puis on constate que des algues se sont
largement installées sur la coque, ce qui ralentit la glisse du bateau. Ni une,
ni deux, Christian enfile sa combinaison et plonge pour nettoyer son bateau
(dans une eau bien fraîche, mais Christian est un passionné et j’admire sa
détermination), pendant que Loïc et moi allons au débriefing. Le reste de l’équipage
nous rejoint. Le parcours nous est donné, ainsi que des informations utiles sur
le déroulement de la course, puis chacun rejoint son bateau et se lance dans la
baie de Port Camargue. Du café et plusieurs sachets de viennoiseries à
bord : nous sommes prêts !
Les deux bateaux de l’organisation se mettent en place. Ils
déterminent patiemment la ligne de départ en fonction du vent, afin que tous
les participants partent dans des conditions égales. Les bateaux se massent
près d’eux, et la tension monte d’un cran (de plusieurs pour moi). Il faut bien
se rendre compte que 30 voiliers qui sont soumis au vent léger et au courant
sont loin de pouvoir rester statiques sur l’eau, et de petits aller-retours de
chacun, attendant le signal du départ sur un espace réduit implique une
surveillance accrue de tous les côtés. Les adversaires vont dans tous les sens,
chacun guette et avertit le barreur, et moi je suis déjà dans un état de stress
avancé quand j’aperçois un grand voilier à coque bleue foncer sur notre
arrière. Il arrive par notre tribord, à une vitesse que sur le coup je trouve
absolument folle, et nous passe juste derrière, presqu’en nous frôlant. J’ai un
instant cru qu’il allait nous éperonner… J’estime qu’il est passé à 1 mètre grand
max, mais je ne suis pas certaine d’être complètement objective à ce moment-là.
Et je me dis que si je reste à ce niveau de stress, je mourrai d’une crise
cardiaque avant la fin de la régate…
Le départ est enfin donné, et tous les équipages s’activent pour
donner de la vitesse à leurs navires. Je vois Loïc, Tom, Pascal et Christian,
les hommes à bord de Moun’ba, manoeuvrer avec fluidité. Ils ont manifestement l’habitude
de naviguer ensemble, chacun trouve sa place, et les postes s’interchangent au
besoin. Moi je me sens un brin inutile en début de course, et à la fois, j’ai
très peur de mal manœuvrer si je m’y colle. Je me contente de les observer, de
surveiller les adversaires, de faire baisser mon stress et de prendre des
photos.
On se fait doubler par bâbord...
Tous concentrés à bord...
... mais il y a aussi des temps plus calmes.
Nous naviguons d’abord par vent presque de face, sur un
parcours en triangle, ce qui impose à tous les bateaux de virer de bord
plusieurs fois. Il faut donc surveiller de chaque côté, devant, derrière, les manœuvres
des autres ainsi qu’une fenêtre nous permettant de faire nos propres manœuvres.
Celui-ci arrive droit sur notre arrière et est plus rapide que nous. Il nous doublera rapidement (en passant tout près !).
Une fois la bouée contournée, nous sommes vent arrière, et
il faut sortir le spi en vitesse. Notre grande voile colorée prend place devant
le génois, que nous réenroulons. Comme il fallait bien que je fasse une bêtise,
j’ai fait un nœud au bout de l’écoute du spi, ce qu’on ne doit AU GRAND JAMAIS
faire. Je le savais, Johann et et Sylvain me l’ayant déjà dit, mais cela m’était
sorti de l’esprit. Le spi est une voile intéressante mais difficile à gérer, et
si un coup de vent l’emporte, il faut qu’elle puisse s’échapper plutôt que d’embarquer
le bateau, et c’est pour cette raison qu’on ne noue pas les extrémités des écoutes.
J’essaie de bien me l’imprimer dans le crâne, cette fois.
J’apprécie le changement d’objectif, j’ai moins froid !
En avançant face au vent, on le ressent plus fort, et le bateau gîte, alors que
lorsqu’on navigue vent arrière, il semble que le vent est bien moins fort, et
le voilier est plus stable. On croit même avancer plus lentement alors que non.
Et on ne vire pas de bord, ce qui fait des trajectoires plus « sereines ».
On prend le temps d’avaler une viennoiserie de plus…
Sous spi, la visibilité est encore moins bonne que sous génois, on se place de chaque côté pour guetter les adversaires, mais les trajectoires sont à peu près fixes.
Une course se détermine souvent par deux manches, et chaque
manche comprend 2 fois le parcours donné. A la fin du premier parcours, on sait
déjà qu’on n’est pas super bien placés pour la première manche. Je commence à
aider, plutôt sur les virements de bord, et la sortie ou rentrée du spi. Je
suis maladroite et pas assez rapide, trop sous pression, mais l’équipage ne
semble pas m’en tenir rigueur (en tout cas, il ne me reproche rien). Ces hommes
courent pour le plaisir, et sans doute pour améliorer leurs chronos, mais ils
ne sont pas compétitifs à outrance, et j’apprécie cet état d’esprit.
Le premier bateau a viré, le deuxième pas encore.
Les bateaux s’espacent les uns des autres à mesure de la
course, et la pression est nettement redescendue chez moi. On finit la première
manche un bon moment après les premiers, mais ce n’est pas grave. On prend une
pause bienvenue, caressés par le doux soleil hivernal et la brise légère, avant
d’attaquer la deuxième manche.
Le vent à changé de cap, et la deuxième manche se fera selon
un nouveau parcours. Les organisateurs s’installent, et les concurrents sont à
bloc. Je suis à nouveau super tendue, mais les coques sont plus espacées que
sur la première manche, en tout cas au niveau de la ligne de départ. Mais il
faut rapidement envisager les virements de bord, et à nouveau on voit des
voiliers dans tous les sens, il faut rester bien concentrés.
Peu après le départ de la deuxième manche.
La première bouée est un sacré défi : on voit les
concurrents qui l’atteignent avant nous avancer en crabe sur elle, le courant
doit être particulièrement fort à cet endroit. On essaie de prendre plus large,
mais tout le monde n’est pas d’accord à bord sur le moment où il faut virer. « C’est
bon, là, on passe ». « Non, attends encore on passera pas ! ».
C’est le barreur qui décide, mais on a effectivement viré trop tôt et on ne
passera pas la bouée, le courant étant effectivement localement très fort. A l’approche de celle-ci, un autre bateau arrive droit
sur nous, nous oblige à virer en urgence pour l’éviter, et nous perdons toute
notre vitesse et nos possibilités de manœuvrer. On touche la bouée, et il faut
faire une « réparation » (c’est une manœuvre-pénalité). Une
discussion sur le quai, après l’arrivée, nous apprendra que si l’on a touché la
bouée à cause de la mauvaise manoeuvre d’un autre candidat, nous ne sommes pas
tenus de faire la réparation… Bref, on a perdu du temps alors qu’on était bien
partis, cela nous contrarie un peu, et en plus on l’a perdu pour rien.
On continue notre parcours en banane, mais ça ralôche un peu
à bord (sans doute plus pour la forme que par mauvaise humeur). Les manœuvres s’enchainent
à bord : virements, sortir et rentrer le spi… J’ai mouillé mes gants lors
de la première manche en remontant une écoute de spi partie à la mer, du coup
je les ai laissés dans un coin, et manœuvre à mains nues. Mes paumes sont en
feu à force de tirer les cordages, j’hésite à remettre les gants mouillés, mais
j’ai déjà froid, alors je garde mes mains nues. On continue à descendre les
viennoiseries, mais il y en a trop pour qu’on en vienne à bout.
On achève la deuxième manche, puis on regagne le port. Je n’ai
aucune idée de notre classement du jour, mais je suis vraiment contente d’avoir
participé à cette régate. Les hommes me laissent la barre pour le retour, mais
c’est une barre franche alors que j’ai l’habitude de la roue. Après quelques
erreurs et de judicieux conseils, j’arrive à peu près à garder mon cap, mais
rends la barre avant l’entrée au port.
Nous serons restés en mer environ 6h, au cours desquelles j’ai
eu froid la plupart du temps (il faut vraiment que je me décide à acheter un
bon vrai coupe-vent de marin…) Mais c’est pas grave, j’ai vraiment apprécié ma
sortie ! Je rentre me réchauffer dans Heimoana, à grand renfort de Capuccino et
de fesses collées au radiateur.
Merci Christian pour cette belle expérience !! Merci aussi à Tom, Pascal et Loïc de m'avoir intégrée à l'équipe, pour leur bonne humeur et les conseils. J’espère
remettre ça quand il fera un peu plus chaud, au moins pour me prouver que je peux
m’améliorer en tant que membre d’équipage…