Passé le choc de l'annonce de la récidive de la tumeur, et l'éclat en plein vol de notre projet sur le point de se concrétiser, il nous faut réfléchir et trouver comment sauver, ne serait-ce qu'un peu, notre voyage.
Le sea trip aux Antilles semble définitivement impossible : nous disposons de 8 mois maximum, or, il faut compter presque 5 mois pour l'aller-retour. Ca nous laissait 3 mois pour faire le tour de toutes les belles îles paradisiaques de l'archipel. Mais si l'opération est prévue fin octobre, et qu'il faut encore attendre le scanner de contrôle à 3 mois, ça rentre pas...
Faire la transatlantique aller, puis le retour en avion en laissant Heimoana jusqu'à l'année prochaine, ça implique que l'année prochaine nous ayons à nouveau 3 mois de libre pour faire le retour. Or, nos amis qui nous remplacent pour la gestion de l'entreprise se sont engagés pour 14 mois (de juillet 2018 à août 2019, pour nous aider sur 2 saisons estivales et gérer la morte saison). S'ils veulent rester plus, ce sera bienvenu, mais on ne peut décemment pas leur imposer ce choix, et le coût du port là-bas est très hors budget de toutes façons.
Faire convoyer Heimoana par un skippeur : là encore, le coût risque d'être largement au-dessus de nos moyens, et je serai extrêmement frustrée si je ne fais pas au moins une des deux traversées.
Bref, on regarde un peu tristement s'éteindre notre grand projet, celui qui méritait une médiation sur Internet via un blog sympa, et on va se rabattre sur des destinations beaucoup moins exotiques, mais néanmoins dépaysantes ! Puisque l'opération est plus loin que ce que nous avions espéré, pourquoi pas partir le 1er octobre, comme prévu, même pour 2 petites semaines ? Ca nous laisse comme option l'Espagne ou la Corse, mais Maëlyss refusant catégoriquement la traversée pour la Corse, ce sera l'Espagne. Si certains parmi vous connaissent des endroits atypiques et peu touristiques sur la côte Est, on est preneur !
Après l'opération, nous verrons bien, selon l'état de santé de Killian et les contrôles nécessaires, ce que nous pourrons envisager.
Le 11 septembre, il était prévu de sortir le bateau pour le carénage. Nous nous étions posé la question de le maintenir ou non, et finalement nous l'avons fait sortir comme prévu. Le boulot est parfait pour se changer les idées, et j'avoue que je n'avais pas bien mesuré à quel point j'allais pouvoir occuper mes pensées !
Le carénage consiste à nettoyer et repeindre la partie immergée de la coque (qu'on appelle la carène) et l'hélice. Soit quelques heures de boulot par jour pendant 3 jours et basta.
Nous savions que les côtés de la coque étaient dans un état plutôt tristounet, et qu'il serait bien de les retoucher un peu pour améliorer l'esthétique du bel Heimoana, et nous avions également prévu ces petits travaux de ponçage.
Toutefois, une fois le bateau sur cale, l'état de la coque nous est apparu dans toute son horreur. En regardant de près, nous avons constaté que pas un mètre carré de coque n'était épargné : il y avait certes de nombreuses réparations façon "plâtrage à la truelle" absolument dégueulasses, mais aussi d’innombrables traces de coulures d'une précédente peinture de la coque. Partout, partout. Quant-aux bandes noires sur le bas de la coque, elles étaient énormément scotchées, et sous chaque bout de scotch, une rayure ou un trou ! Nul doute qu'un (ou plusieurs) des précédents propriétaires avait plus de plaisir à naviguer qu'à chouchouter ce bateau, dont les réparations sont plus dignes d'un maçon aveugle et manchot que d'un carrossier amateur.
De loin, la coque est déjà vraiment pas terrible...
... mais de près, ça frise le cauchemar !
Le choix est vite fait de repeindre entièrement la coque, après effaçage méthodique de ses centaines de cicatrices. L'enthousiasme débordant d'un voisin de chantier nous réchauffe le coeur : "pfiou ! C'est un boulot de titan, vous en avez pour des semaines... Jamais vu une coque aussi moche... Vous êtes sûrs de vouloir faire ça ?". Et je crois que même les vendeurs m'ont regardé avec un brin de pitié pour la pauvre inconsciente que j'étais de m'attaquer à si gros pour un premier carénage.
Bref, j'ai désespérément besoin de m'occuper l'esprit, car l'annonce de la tumeur de Killian est trop fraiche, et j'ai une tendance naturelle à faire ce que je veux quoi qu'en pense les autres, alors je persiste dans ma folie. Sylvain doit encore bosser au camping, mais j'avais sollicité mon père pour m'aider, lui vendant du rêve, au départ, en parlant de 3 petits jours de boulot.
J'avais pensé commencé par la carène pour m'en débarrasser, mais les travaux au-dessus risquaient de la salir, on n'a donc fait que la première couche, gardant la deuxième pour la fin des travaux. le nettoyage de l'hélice, assez laborieux, a été réalisé par mon père, et à suscité toute l'admiration des matelots autour : "houlà, fallait pas vous embêter autant ! On la dirait neuve..."
Tout le monde s'y met ! (enfin, un peu...)
L'ancien proprio (ou LES anciens) réparait tous les accros sur la bande noire avec... du scotch !
What else...
Puis nous avons attaqué la préparation de la coque : enlever tous les scotchs et autocollants, poncer, reboucher, reponcer, trouver de nouveaux défauts, puis poncer encore. C'est au bout de ces deux jours et demi à respirer de la poussière que j'ai mesuré l'infinité de l'amour paternel, et sa patience hors-normes ! Chaque fois qu'on s'arrêtait, pensant avoir fini et fiers de notre travail, on découvrait de nouveaux défauts... et c'était reparti pour un tour de ponceuse / gel-coat / ponceuse !
Au 5e jour de boulot, nous avons enfin appliqué la sous-couche ! O joie indicible ! Il y a encore quelques petits défauts, de ceux qu'on ne voit que quand on a le nez dessus, mais je suis réaliste : personnellement, je ne vois quasiment jamais ma coque, et ceux qui la regardent la voient toujours de loin, et se moquent sans doute comme de l'an 40 de son état. Je l'accepte de bonne grâce, puisque je me fiche aussi totalement de l'état des coques des nombreux voiliers que je croise et ne connais pas... Et honnêtement, ils sont à peine perceptibles. En plus, comme on finira, nous aussi, par égratigner la coque plus ou moins régulièrement, c'est pas la peine d'atteindre une perfection qui ne sera qu'éphémère.
J'ai mal partout, et je pense que mon père aussi, mais voir cette belle coque toute blanche nous aide à rester motivés.
Le voisin de chantier enthousiaste a fini son carénage et remis son bateau à l'eau, mais il continue à rôder dans la zone, viens voir l'avancement de nos travaux et mesurer l'humeur des troupes ! Je ne connais toujours pas son prénom, mais il m'a piquée au vif, et j'espère qu'il viendra quand on aura fini et qu'on l'impressionnera au moins un tout petit peu !
Il y a beaucoup de promeneurs dans la zone technique (qui pue l'essence, les produits chimiques qui peuvent te filer un cancer rien que si tu les regardes dans les yeux et qui est parsemée de déchets de mer décomposés et malodorants, m'enfin, chacun son truc...). L'un d'eux, aussi propriétaire d'un feeling 1090, m'a lancé un regard énigmatique quand il a compris qu'on ne referait pas la coque à l'identique. Peut-être qu'il jugeait que je méritait le bûcher de dénaturer ainsi l'âme du 1090, et qu'il suppliait silencieusement la foudre de s'abattre immédiatement sur ma tête... Il faut savoir que c'est un modèle qui a eu beaucoup de succès, et qu'il y a des sites dédiés à ce bateau spécifique, avec des tutoriels pour pouvoir toujours le restaurer parfaitement dans ses couleurs les plus originelles possible. Mais personnellement, j'ai pas cherché à acheter CE bateau-là, moi je voulais juste un 3 cabines confortable, et je trouve l'idée de la bande noire à cette hauteur fort peu adaptée à mon stationnement face à des bateaux à moteurs, qui rivalisent d'ingéniosité pour dézinguer les coques de tous les voiliers du quai... Je les imagine parfois esquisser un sourire sadique dès que le vent se lève, ou que le courant est fort, et pointer le plus possible leurs couteaux aiguisés pour choper les coques des imprudents. D'après les voisins, tout le monde sur le quai s'est empalé au moins une fois sur les bateaux moteurs, et au vu du nombre de "réparations" au scotch sur Heimoana, lui a dû y finir un sacré nombre de fois !
Nous avons opté pour une peinture bi-composants, à priori plus résistante dans la durée que la mono-composant. Plus chère, aussi. On redoutait une application plus difficile (il faut être très rigoureux dans le dosage des produits à mélanger), mais finalement on s'en est pas trop mal sortis. Sauf sur la jupe (arrière de la coque, qui comprend les marches), ou étonnamment la peinture n'a pas eu le rendu brillant de partout ailleurs.
Si pendant un moment l'idée de peindre moi-même m'a bien titillée, finalement, l'option "achat de stickers" m'a paru nettement plus simple ! En un tour sur Internet, Sylvain dégotte des stickers de folie, le choix en est même difficile !
Un nouveau bateau a fait son apparition
sur la zone technique, non loin du notre, et nous lions rapidement
amitié avec l'adorable propriétaire, Laurent. C'est mon premier
carénage, lui me dit que c'est sans doute son dernier (à 71 ans, je
comprends aisément...). Mais des idées d'aller en convoi en Espagne nous
titille, on va se programmer ça si on peut.
Par
chance, les copains sont venus nous aider le dernier jour, car nous
sommes un peu courts sur le timing pour la remise à l'eau. Dany a
d'ailleurs été d'un soutien considérable sur le plan logistique pendant
toute la période des travaux, gérant ma louloute et les repas. Merci !
L'application des stickers reste un peu délicate, et ne sera pas parfaite, le support n'était pas ultra-lisse (et les sujets un peu grands, il faut bien dire !). L'ancienne bande noire du haut de la coque reste un peu visible par relief, insuffisamment poncée. Je me mets donc en tête de remettre une bande de même taille au même endroit. M'enfin, celle qui me plait est plus large, et l'application de la première bande est si irrégulière qu'il est impossible de la suivre ! Je m'arme de mon mètre pour rester à égale distance du haut de la coque, et je pose tantôt au-dessus tantôt au dessous du tracé de l'ancienne bande. Avec un écart de bien 10 cm ! C'est dur de poser bien droit, mais il m'était impossible de faire pire, même en fermant les yeux. Alors c'est toujours mieux qu'avant...
Sylvain nous rejoint aussi, et s'attelle a des réparations et entretien qui trainaient encore : démontage et graissage des winches, réparation de la fermeture éclair du lazy bag, système efficace pour bloquer les coulisseaux de la grand-voile (non retenus, les coulisseaux sortent du rail du mât, et la voile s'échappe... ).
Killian met la main à la patte, et s'applique au montage des winches.
Pour ma part, je me suis appliquée à bien respecter les consignes d'application de la peinture spéciale pour l'hélice, qui nécessite des temps de séchage et un délai de mise à l'eau précis et courts. J'ai flingué un pinceau à chaque couche, pensant que le nettoyage des outils se faisait au white spirit, mais non ! Cette peinture est tellement tenace que j'en ai encore sur le corps 4 jours après avoir fini, et c'est pas faute de frotter ! Puis on réinstalle les anodes : anneaux en zinc dont la fonction est de protéger de la corrosion électrolytique les éléments du moteur, qui sont en aluminium, inox, étain ou cuivre. Il est extrêmement important de les changer chaque année par des neuves, et de ne point les peindre, ni les surfaces métalliques à leur contact.
Puis, comme on a eu peur de s'ennuyer, et aussi parce que l'état piteux des boiseries de la descente l'imposait, nous avons décidé de décaper et revernir l'escalier qui amène au carré. Pour le coup, vous verrez les photos ultérieurement, car ce boulot-là n'est pas fini !
Il fut remis à l'eau vendredi dernier, il faut maintenant terminer la restauration de la descente, puis le charger pour le départ.
D'ici quelques jours, nous prendrons très modestement la mer, pour un court séjour. La destination fut l'objet de discussions houleuses, car Maëlyss a décidé que vraiment, elle ne voulait pas faire du bateau ! Notre tout premier court voyage en famille sera donc pour Porquerolles, où nous espérons une météo encore clémente début octobre.